Le fil conducteur des travaux de recherche présentés dans ce séminaire est la mise en œuvre de méthodes analytiques et numériques permettant la compréhension du comportement dynamique de systèmes mécaniques non linéaires, parfois incertain et possédant plusieurs échelles de temps caractéristiques. Cette thématique a été développée dans le cadre de deux applications en vibration et en acoustique décrites brièvement ci-dessous.
Contrôle passif non linéaire de vibrations auto-entretenues. Les absorbeurs non linéaires de type NES (Nonlinear Energy Sink) sont étudiés depuis une vingtaine d’années pour leur capacité à atténuer les vibrations de façon passive et sur de larges gammes de fréquence. En effet, la dépendance entre son amplitude vibratoire et sa fréquence d’oscillation confère au NES la capacité à résonner à n’importe quelle fréquence. Après avoir absorbé puis dissipé l’énergie du système à protéger, il peut s’en « désaccorder » pour éviter le retour de l’énergie. Ce transfert quasi-irréversible de l’énergie vibratoire, du système primaire vers le NES, est appelé pompage énergétique (targeted energy transfer). L’exposé se focalisera sur l’utilisation de NES pour l’atténuation d’oscillations auto-entretenues résultants d’instabilités dynamiques. Dû à la nature fortement non linéaire du NES, le système constitué de ce dernier couplé à un oscillateur auto-oscillant possède un grand nombre de réponses possibles. L’approche analytique proposée ici vise à expliquer ce comportement dynamique complexe et si possible à le prédire. Le but étant de pouvoir séparer les réponses du système où le NES agit de celles où il n’agit pas. Dans un premier temps, un état de l’art sera dressé. Celui-ci présentera les méthodes d’analyse qui permettent de prédire les régimes d’oscillations de systèmes auto-entretenus à un degré de liberté (l’oscillateur de Van der Pol) couplé à un NES. Le modèle couplé résultant est en général étudié en introduisant un petit paramètre de perturbation lié au rapport de masses entre le NES et la structure primaire. Ce paramètre met en évidence la nature lente-rapide du système qui est ensuite analysé au moyen de techniques de perturbations singulières. Dans la littérature, l'analyse est effectuée dans une approximation d'ordre zéro, c'est-à-dire dans le cas limite où le paramètre de perturbation est égal à zéro. Deux études seront ensuite présentées. La première [1] vise à pallier certaines limitations de l’analyse à l’ordre zéro. En effet, les résultats qui en découlent (i) se déprécient pour les plus grandes valeurs du paramètre de perturbation et (ii) sont indépendants de ce dernier. Une analyse de la dynamique du système à un niveau d’approximation supérieur qui prend en compte la valeur du paramètre de perturbation est ici proposée. Dans la seconde étude [2], l’influence de la présence de bruit sur le comportement du système est investiguée. Pour cela, deux statistiques sont introduites : la probabilité d'être dans un régime inoffensif et le temps de premier passage pour atteindre un régime dangereux. Les résultats obtenus montrent que la présence de stochasticité peut modifier significativement le comportement dynamique du système déterministe correspondant.
Phénomènes transitoires dans les instruments de musique à anche. D’un point de vue mathématique un instrument de musique à anche simple (comme les clarinettes ou les saxophones) est un système dynamique auto-oscillant décrit par un jeu d'équations différentielles non linéaires homogènes reliant des paramètres de contrôle (ou de bifurcation), comme la pression dans la bouche du musicien, à des variables de sortie, comme la pression dans le bec de l’instrument. C’est cette dernière qui après avoir interagi avec le résonateur et une fois rayonnée en dehors de l’instrument correspond à l’onde sonore que nous percevons. L'apparition du son dans l'instrument apparait quant à elle comme une bifurcation de Hopf de la position d'équilibre triviale (celle d'amplitude nulle correspondant au silence) de ce système dynamique puis à l'apparition d'un cycle limite d'oscillations (c.-à-d. la note jouée par l'instrument). Cette valeur précise du paramètre qui correspond à la bifurcation (que nous appellerons dans la suite le point de bifurcation statique) peut être déterminée en calculant la stabilité locale de la position d'équilibre triviale du modèle d'instrument en considérant le paramètre de bifurcation constant. Cette vision dite statique (car le paramètre de bifurcation considéré est constant dans le temps) n'est pas complètement représentative de ce qui se passe en réalité en situation de jeu. Pendant un transitoire d'attaque par exemple, le musicien va en effet plutôt augmenter la pression dans sa bouche jusqu’au point nécessaire pour que l’instrument joue. On a donc une augmentation dans le temps du paramètre « pression dans la bouche » (cas dit dynamique), à la différence du cas statique où pour chaque valeur constante de la pression dans la bouche on se pose la question de la possibilité de jouer un son ou pas. Une vision naïve qui consiste à penser que pendant un transitoire d'attaque l'apparition des oscillations se produit au point de bifurcation statique est souvent erronée. On observe en général un phénomène de retard à la bifurcation [3] où l'apparition des oscillations se produit pour une valeur plus grande que le point de bifurcation statique, appelée point de bifurcation dynamique. La littérature sur le sujet, dit de la théorie de la bifurcation dynamique, indique que pour prédire correctement le retard à la bifurcation il faut sortir des hypothèses, communément admises en acoustique musicale, d’un modèle déterministe et à paramètres de contrôle constants. Dans ce cas, le modèle d'instrument devient un système dynamique stochastique lent-rapide dont la variable lente est la pression dans la bouche et les variables rapides sont celles liées à l'instrument (ici la pression dans le bec). Dans ce contexte l’exposé présentera comment il est possible, en supposant une physique simplissime de l’instrument, de prédire le retard à la bifurcation pendant le transitoire d’attaque d’une clarinette [4]. Par ailleurs, les instruments de musique à anches sont connus pour produire une multitude de régimes sonores. Dans les modèles physiques, cette complexité se manifeste par la coexistence de régimes d'équilibre, périodiques et quasi-périodiques. Pendant un transitoire d’attaque, en plus de l’apparition du son, il est également important de savoir quel régime sera effectivement atteint lorsque différents régimes stables coexistent pour les mêmes paramètres. Pour investiguer cela, nous introduisons la notion de bassin d’attraction dynamique et proposons une définitions de la séparatrice entre ces bassins dans le cas d’un modèle 2D simple de clarinette.
Références bibliographiques
Bergeot, Baptiste. « Scaling law for the slow flow of an unstable mechanical system coupled to a nonlinear energy sink Baptiste Bergeot ». Journal of Sound and Vibration 503 (2021): 116109. https://doi.org/10.1016/j.jsv.2021.116109.
Bergeot, Baptiste. « Effect of stochastic forcing on the dynamic behavior of a self-sustained oscillator coupled to a non-linear energy sink ». International Journal of Non-Linear Mechanics 150 (avril 2023): 104351. https://doi.org/10.1016/j.ijnonlinmec.2023.104351.
Bergeot, Baptiste, André Almeida, Bruno Gazengel, Christophe Vergez, et Didier Ferrand. « Response of an artificially blown clarinet to different blowing pressure profiles ». The Journal of the Acoustical Society of America 135, no 1 (2014): 479 90. https://doi.org/10.1121/1.4835755.
Bergeot, Baptiste, et Christophe Vergez. « Analytical prediction of delayed Hopf bifurcations in a simplified stochastic model of reed musical instruments ». Nonlinear Dynamics 107 (2022): 3291 3312. https://doi.org/10.1007/s11071-021-07104-9.